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Puisque nous célébrons cette année le 400e anniversaire de Shakespeare, ce premier blog est un petit clin d’œil aux Sept âges de l’homme : voici les Sept âges de l’auto-cathétérisme

Enfance

La vie est prise en étau entre deux âges d’impuissance ; pas d’impuissance, mais plutôt d’assistance. À l’aube et au crépuscule de notre existence, nous avons besoin d’aide – certains plus que d’autres.

Je suis né avec une affection appelée « exstrophie vésicale classique ». Ma vessie était ouverte en deux à l’extérieur de mon corps – oui je sais, rien de plus « classique ». L’échographie permet aujourd’hui de détecter de telles anomalies ; mais dans les années 70, c’était boules de cristal et feuilles de thé – surtout dans l’hôpital où j’ai vu le jour.

Ma mère y travaillait comme infirmière (je ne pense pas qu’elle était de service cette nuit-là). À ma naissance, elle et mon père ont été étonnés de voir que ma vessie n’était pas à sa place. Étant moi aussi père de famille, je ne pourrai jamais sous-estimer l’inquiétude qu’ils ont dû ressentir.

On m’a transféré au Great Ormond Street Hospital de Londres – une petite course de sept heures, en fonction de la circulation après Stonehenge (ce ne serait pas la dernière fois que je rencontrerais des bouchons dans mon enfance).

À l’époque, je fréquentais pas mal les hôpitaux : j’ai été hospitalisé quelque temps quand j’étais tout-petit, puis six longues semaines pendant que j’allais à l’école primaire. À cette époque, le sondage se faisait à demeure.

Scolarité

J’ai commencé à m’autosonder à l’âge de huit ans environ. Fini le sondage à demeure, à moi la liberté. Désormais, c’est moi qui décidais. Le plus difficile ? Accorder le sondage avec l’école : ménager des créneaux dans mon emploi du temps, profiter des pauses, dire à mes professeurs que si j’avais cinq minutes de retard ou que si je devais sortir en pleine classe, mieux valait m’accorder une permission.

Évidemment, il est plus facile d’amadouer ses professeurs que ses camarades de classe. Je devais donc affronter cette première barrière sociale : la jungle scolaire. Il y en a dans toutes les écoles : des brutes, des gros bras, des meneurs de bande, des futurs détenus... bref, des élèves qui cherchent des occasions de se défouler. Ils sévissent dans chaque école, leur but étant essentiellement de sauter sur tout ce qui sort de l’ordinaire. Quand j’étais jeune, je me disais qu’ils s’en prenaient à n’importe qui, pour n’importe quelle raison : un prénom rigolo, un strabisme, une jambe qui boîte, une sonde, la fois où tu as appelé le professeur « papa »… tout et n’importe quoi. Je me souviens d’un garçon qui, au lieu de demander de l’eau, a demandé UNE FOIS à la dame de la cantine de lui apporter du sirop, et cinq ans après on l’appelait toujours « Sirop ». Il se peut qu’à ce jour on l’appelle toujours comme ça.

Ignorez vos ennemis et allez de l’avant. Moi, je faisais preuve d’humour pour détourner leur attention sur autre chose. En plus, il s’avérait qu’une maladie mystérieuse était un prétexte idéal pour éviter le sport, mes professeurs étant peu enthousiastes à l’idée d’approfondir les détails de mon affection, même si la plupart savaient que mes reins ou quelque chose d’autre ne tournaient pas rond.

Jeunesse

En fin d’adolescence et dans ma vingtaine, il fallait que jeunesse se passe. Les bars, les boîtes de nuit, les copains, les filles… avec ma sonde, il fallait tout simplement que je m’adapte. Le petit sac avec la sonde et le gel désinfectant, c’était du passé. J’ai d’abord laissé tomber le gel (je réaliserais peu après, lorsque les infections urinaires commenceraient à sévir, que le gel était en fait plutôt utile – il a d’abord fallu que je me marie pour que ma femme me rappelle ce conseil d’hygiène). Il s’avérait qu’une sonde standard rentrait parfaitement dans ma ceinture portefeuille zippée, dénichée dans une boutique de voyages ou sur un marché espagnol.

Armé de ma fidèle ceinture à sonde, je m’en allais boire des chopes de bière. Ma vessie se remplissant ainsi assez rapidement, il fallait que je repère les toilettes à l’avance, en espérant qu’elles soient en bon état. Dans les boîtes de nuit, je m’attirais souvent les soupçons des gardiens de toilettes.

Je mettais au point mes propres techniques – je justifiais mon retard en faisant semblant d’être au téléphone quand je sortais des toilettes, un prétexte qui marchait plutôt bien.

À ce stade, je savais à qui confier mon histoire de sondage – les deux ou trois amis proches avec qui je voyageais, ou ceux qui connaissaient tous mes défauts. C’était normal. Je savais des trucs sur eux aussi. Si je savais que l’un d’eux avait uriné sur la jambe d’un policier, il pouvait aussi savoir que j’urinais dans un tube. 

Pour ce qui est des filles, elles feront l’objet d’un prochain blog.

Vie de famille

Je ne pensais jamais pouvoir avoir d’enfants. Les médecins s’étaient finalement trompés : nous avons actuellement deux enfants, et leur vessie fonctionne à merveille. Quand ils étaient petits, c’était assez flou. Un jour, ma fille m’a vu uriner et m’a dit : « Quand je serai un homme, j’aurai un tube comme ça ». L’avenir le dira. 

Je suis on ne peut plus reconnaissant d’avoir une famille, tous n’auront pas cette chance. Dans tous les cas, on en arrive finalement à un âge où le regard des autres nous préoccupe moins. Et ça a ses avantages…

Maturité

À ce stade, les angoisses et les complexes propres à la jeunesse commencent à s’estomper. Se sonder en public ? Allez. J’ai laissé une sonde sur le siège du train ? À vingt ans, j’aurais été angoissé à mort. À presque quarante ans, je ne rougis même pas (mais je veux bien m’excuser : « Désolé, Mère Supérieure, et bonne fin de voyage… »).

Une fois que les dettes et le boulot vous accablent, la routine vous fait vite oublier le reste. Et les routines sont plutôt pratiques pour les utilisateurs de sondes.

C’est aussi le moment de veiller à sa santé : les allers-retours chez le médecin pourraient se multiplier et il faut ménager du temps pour l’exercice (c’est ce que je suis en train de me dire). Dans le passé, vous vous sentiez peut-être défini(e) par votre sonde, mais à présent celle-ci pourrait bien être un problème de santé parmi tant d’autres ! Moi ? Je me sonde, mais j’ai également reçu une greffe de cornée (aucun rapport avec ma vessie), j’ai eu de l’eczéma, quelques allergies… ah oui, et j’ai aussi le dos en compote. Il est temps de faire un peu d’exercice.

Retraite

…Ce n’est plus ce que c’était ! La vie est toujours faite pour être vécue. Un utilisateur de sonde à la retraite peut aujourd’hui voyager plus que jamais (on parlera des voyages une prochaine fois), entreprendre de nouveaux passe-temps et même faire de nouvelles rencontres. Le cycle recommence – mais cette fois, avec assurance, en sachant qu’au final, tout ira bien.

Vieillesse

Et nous voilà de retour à la case départ, pour achever, comme dirait Shakespeare, « cette histoire étrange et mouvementée, cette deuxième puérilité… sans les dents, sans les yeux… » – mais, pour beaucoup d’entre nous, avec une sonde. Rassurez-vous, on finira tous par en avoir une. Les gars comme moi ? On prend juste un peu d’avance.

Les opinions exprimées ici sont de nature personnelle et anecdotique et ne doivent en aucun cas remplacer l’avis médical d’un professionnel. En cas de questions, vous devriez toujours consulter votre médecin ou votre infirmier(ère).

S'adapter au cathétérisme peut être difficile. Vous n’avez pas à le découvrir seul. Communiquez avec à un membre de l'équipe de soutien me+ au 1-800-465-6302.